Bien que nous soyons quelque peu avisés de cette problématique très complexe, multi-factorielle, apporter des conseils aux victimes est une tâche bien difficile à mener tant les situations auxquelles elles se rattachent sont toujours très particulières, « chaque cas est unique », dirons-nous.
Aussi, ce qui peut être vrai pour un cas ne le sera pas forcément pour un autre. Nous mettrons donc en garde toutes les victimes sur les conseils qu’elles peuvent recevoir, quel qu’en soit l’émetteur « les conseilleurs ne sont pas les payeurs », et surtout des personnes proches, non professionnelles, impliquées émotionnellement dans la situation qui est source d’enjeux conscients ou inconscients.
La victime doit d’abord s’écouter, savoir écouter son corps, ses émotions premières. Très souvent, la victime se dit que tout cela ne peut plus durer, qu’elle devra tôt ou tard agir, partir, s’éloigner de son persécuteur, de son contradicteur, de son auteur, de son bourreau. Devant ses premières émotions, ses premières certitudes, la victime fait volte-face et remet en cause ses décisions du moment. Prendre une décision suppose de la réflexion et en même temps, trop réfléchir nuit à l’avenir. Nous voyons souvent que les victimes les plus réfléchies, les plus posées sont souvent celles qui font machine arrière et qui atermoient leur détermination à se séparer du conjoint violent. Dans tous les cas, nous inciterons les victimes à s’ouvrir aux professionnels pour mieux comprendre l’avant, le présent et le risque du futur. C’est aux victimes que revient la décision, bien que l’appareil Judiciaire peut prendre des dispositions propres à éviter les situations dans lesquelles auteur et victime laissent perdurer les risques.
Quelques pistes peuvent être élaborées pour que la victime de faits de violences puisse prendre davantage d’assurance pour agir et se libérer. Ces deux notions « ASSURANCE » « SE LIBERER » sont très importantes et inséparables dans le processus de désengagement psychologique de la victime à l’égard de l’auteur.
En premier lieu, il convient à la victime de faire la part des choses. Suis-je véritablement victime de violences conjugales ? Se poser la question est déjà en soit une réponse. D’évidence, toute victime de coups physiques, de brimades, de comportements harcelants se considérera comme telle au yeux de la loi. Mais ceci n’est pas si évident pour la victime en elle-même. Beaucoup de victimes en « leur dedans » considèrent que la « petite gifle, la petite bousculade » est un fait isolé et sans gravité. Nous entendons très souvent des victimes nous dire « ce n’est pas si grave, je ne vais pas en mourir ». Ces petits faits du quotidien qui deviendront le nid exutoire du mari, du concubin, du copain, seront bien souvent rangés dans la catégorie « disputes de couple comme tout le monde… ». C’est à ces victimes que nous adresserons en premier notre appel à la plus grande vigilance. Même anodine, sans gravité, l’atteinte psychologique « les insultes, le dénigrement devant tout le monde, quelque chose qui est dit et qui fait mal » sont des éléments qui préfigurent quasiment toujours aux violences physiques. Comme toute maladie, il y a des stades, des cycles, des degrés d’atteinte à l’autre. Telle une maladie, la violence grandit, s’aggrave si elle n’est pas traitée. La victime doit être vigilante aux distinctions « populistes » aussi hasardeuses qu’apaisantes de ce qui est jugé « petite dispute isolée du couple, du caractère agressif de la mésentente du moment », à ce qui relève du préoccupant, du grave, du dangereux. Nous le disons haut et fort et sans aucun militantisme de notre part : il n’y a pas de violence qui ne soit pas grave, il n’y a pas de bon parent qui frappe, il n’y a pas de bon mari ou de bonne épouse qui s’exprime, même rarement, par la violence, la manipulation, la destruction lente ou massive.
La fréquence des disputes et le motif doivent avant tout être observés. La plupart du temps, le motif de la dispute relève du banal, du ridicule. Evidemment, chaque couple connaît ce type de réalité : se disputer pour une broutille, une connerie. Oui ! mais on peut aussi rapidement s’interroger si le motif n’est pas prétexte à la dispute, à la tension. Y a t-il un lien logique, proportionné entre la dispute et son motif ? La disproportion des causes de la dispute, son intensité, sa fréquence, le caractère répété des disputes, le mode verbal utilisé (les insultes, les humiliations…) sont des facteurs importants que vous devez considérer comme des ingrédients à la destruction qui sera le plus souvent très progressive. Entendons nous bien à ce propos, la victime de violence qui se retrouve pour la première fois à terre, rouée de coups le soir venu, sous un prétexte complètement bidon, n’est pas ce qui est le plus rencontré. Ce stade de violences est en réalité le résultat d’un processus parfois assez long et dont les prémisses surviennent par des actes perçus comme bénins, sans importance depuis longtemps.
Les victimes les plus fréquentes sont celles qui vivent la violence de manière insidieuse. Ces violences dites « douces, bénignes » sont celles qui sont les plus à craindre. Ce sont des actes dont les victimes commencent à se poser des questions sur leur avenir, sur leur capacité à surmonter les obstacles. Et beaucoup de ces victimes estimeront possible la « remédiation », la guérison par l’entraide et l’écoute. La caractère magnanime de ces victimes sera pleinement justifié par le jugement tronqué de leur réalité. Dans ces situations, les victimes jouissent d’une fonction salvatrice. Il est très fréquent d’observer chez ce type de victimes des personnes qui oseront relever le défi de la « thérapie maison » « je vais l’aider à sortir de ses problèmes, après tout, j’en ai vu d’autres ». A ce stade, bien souvent, les victimes entament un processus de légitimation de la violence, estimant que le passé de l’autre est peu enviable et qu’il mérite un peu d’attention, de tolérance, lui ou elle qui n’a pas été épargné de mauvais coups lorsqu’il était enfant… En même temps, la victime, quelque part se sent utile et enrôle une fonction pseudo thérapeutique dans laquelle elle s’estime compétente pour inter agir sur l’auteur.
Le message que nous aimerions renvoyer à ces victimes qui pensent bien faire : « NON, vous ne pouvez pas tout régler ». Vous n’êtes pas thérapeute et vous seul(e) ne pourrez combattre un problème qui n’est pas le vôtre par nature. Ce problème, celui de votre conjoint ou conjointe, est enraciné depuis tant d’années, bien avant que vous ne soyez confronté(e) aux problèmes. Vous pensez être responsable de la violence parce que vous culpabilisez, mais cette pensée est un mirage, un trompe l’œil. Le problème ne vient pas de vous directement. Si vous voulez aider votre conjoint ou conjointe violent(e), ne l’aidez pas en vous improvisant son thérapeute, vous ferez pire que mieux. Au contraire, responsabilisez et posez du cadre, dès la première violence. Agir en responsabilisant, c’est d’abord dire (si possible avant la violence) que vous n’admettez pas, vous n’admettrez jamais. Vous ne devez rien lâcher en terme de transaction. Pacter avec le conjoint violent est un leurre qui ne fera qu’entretenir le lien de dépendance et d’emprise malsaine avec l’auteur. Quitter le domicile est bien souvent la meilleure chose à faire mais ne le faites pas sans prévenir un proche, quelqu’un de votre famille. Déclarer également votre départ auprès du Commissariat de Police ou la brigade de Gendarmerie. Exigez d’en discuter avec un agent de la Force Publique afin d’être certain ou certaine que le motif de votre départ ne soit pas une infraction. Exigez à tout le moins une main courante si aucune infraction n’est à relever. Le dépôt de plainte est toujours un point de départ à la procédure. Vous ne devez pas hésiter à exposer votre cas en direction des services de Police ou de Gendarmerie. Privilégiez votre témoignage aux professionnels du Droit. Gardez intacts vos souvenirs traumatiques et confiez les lors de votre déposition. Aussi, beaucoup de victimes disent avoir été mal reçues, avoir essuyé une fin de non recevoir par le Policier ou le Gendarme… dans ce cas, retournez y, vous verrez une autre personne qui se montrera plus attentionnée. Contactez également un Avocat est toujours une bonne solution. Il y a d’autre part tant de services aujourd’hui disponibles pour vous écouter et vous aider par l’orientation la plus judicieuse (association d’aides aux victimes, le 3919, les CIDF, les services sociaux).
Concernant les violences, il ne sera trop conseillé aux victimes de faire constater les coups, les ecchymoses, toutes les traces de violences par un Médecin. La consultation par un Médecin légiste sera à privilégier (la plupart du temps dans chaque centre hospitalier se trouve une unité médico-légale) ou à défaut, votre Médecin traitant pourra vous délivrer un certificat. Sur ce certificat il déterminera le nombre de jours d’incapacité temporaire de travail (ITT). C’est cette ITT qui établira juridiquement la gravité des violences subies. Voir un Médecin avant de déposer plainte est donc plus que conseillé. Un dépôt de plainte pour violences s’accompagnera toujours d’une demande de certificats médicaux. Dans tous les cas, gardez soigneusement toutes vos attestations, vos documents. Ne les stockez pas chez vous, là où l’auteur peut les retrouver et les détruire. Privilégiez une personne digne de confiance pour conserver les preuves de ce que vous avez subi. Parfois, les violences ne seront pas poursuivies immédiatement et souvent les différentes plaintes ou mains-courantes s’ajouteront les unes aux autres dans le cas où les poursuites sont engagées ultérieurement.
L’hypothèse de départ de la victime doit être préparée. La victime qui prend la décision de rompre doit se préparer à cette démarche, de la préparation d’un minimum d’affaires à la réalisation des démarches administratives. Cela étant dit, il convient d’indiquer avec insistance que les récentes législations donnent aux victimes de violences la faculté de rester au domicile commun et qu’en cas d’interpellation et de mise en cause judiciaire de l’auteur, ce sera à lui de quitter le domicile. Vous confier à un Avocat ne sera jamais une vaine démarche car les solutions immédiates dépendent de votre situation personnelle (matrimoniale notamment).
En finalité, nous reviendrons sur cette maxime bien connue que nous avons tous appris en cours de secourisme : PROTEGER, ALERTER, SECOURIR.
SE PROTEGER c’est poser du cadre, fixer des repères. Dire non à la première violence en actant formellement ce qui ne peut être admis. Protéger aussi tous ceux qui vivent directement ou indirectement la violence : les enfants en particulier qui très souvent sont les victimes prises en otage, utilisés comme des « petits soldats » par l’auteur des violences pour atteindre, contraindre l’autre.
ALERTER pour ne pas être seul(e) avec votre problème, pour agir avec plus de discernement et prendre les décisions les plus raisonnables. Alerter c’est aussi donner du sens à toutes les personnes qui vivent de près ou de loin ces exactions familiales, à commencer par les enfants qui sont aussi victimes indirectes.
DEMANDER DU SECOURS, DE L’AIDE : par les services de Police ou de Gendarmerie, les services de la Justice, les Avocats, qui viendront au rappels de la loi, par des décisions qui donneront de nouveaux repères, du cadre et de la censure.